La tragédie du Saint-Louis (1939)


Photographie de France presse, datée du 18 juin 1939, accompagnée du commentaire suivant :

"On connaît la triste aventure du navire "Saint-Louis" ayant à bord des réfugiés allemands auxquels le droit de débarquement fut refusé à La Havane. Les gouvernements français, anglais, et hollandais ont décidé de prendre chacun une partie des "errants malgré eux" sur leur territoire.

Voici le "Saint-Louis" à Anvers où s'effectua, hier, le premier débarquement. "Terre, enfin" semblent dire les vagabonds involontaires."

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https://fhju.fr/idurl/1/1159 

Date de publication
1939-06-18
Siècle
20
Régime ou époque
nazisme
Région
Amérique du Nord > Etats-Unis
Amérique du Sud > Cuba
Lieu d'édition
Paris
Pays d'édition
France
Thématique
Immigration > Conditions d'entrée - Droit à l'immigration
Persécution
Type de document
Photographie
Langue principale
français
Format
In 8
Nombre de pages
2
Propriété
Collection Nicolas Philippe
Remarques sur le contexte historique

Le 13 mai 1939, le Saint-Louis, un paquebot transatlantique allemand, quittait le port de Hambourg, à destination de La Havane (Cuba) avec à bord 937 passagers, presque tous Juifs, la plupart citoyens allemands. La majorité des passagers juifs avaient demandé des visas américains et ne projetaient de rester à Cuba que jusqu'à ce qu'ils puissent entrer aux Etats Unis. Or au moment où le Saint-Louis appareillait, des changements politiques à Cuba menaçaient d’empêcher les passagers d'y débarquer. Le département d'État à Washington, le consulat américain à La Havane, quelques organisations juives et des agences pour les réfugiés étaient tous au courant de la situation. Les propriétaires du Saint-Louis, la ligne Hamburg-Amerika, savaient, avant même que le bateau ne prenne la mer, que les passagers risqueraient d’avoir des difficultés à entrer à Cuba.

Munis d'un certificat de débarquement émis par le directeur général cubain de l'Immigration, ceux-ci ignoraient qu'une semaine avant le départ, un décret du président cubain Federico Laredo Bru avait rendu ces certificats caducs. Pour aller à Cuba, il fallait désormais une autorisation écrite des secrétaires d'État et du Travail cubains, et verser une caution de 500 $ (dépôt que ne payaient pas les touristes américains). Avant même que le bateau ne quitte Hambourg, des journaux cubains de droite regrettaient son arrivée imminente et exigeaient du gouvernement qu'il cesse d'accepter l'entrée de réfugiés juifs. On voyait d'un mauvais œil les manigances de Manuel Benitez Gonzalez, directeur général du bureau d'Immigration, qui trafiquait des certificats de débarquement, qu'il vendait 150 $. Selon des fonctionnaires américains, il aurait ainsi amassé une fortune personnelle de 500 000 à 1 000 000 de dollars. Tout protégé du chef de l’état-major cubain (et futur président) Fulgencio Batista qu'il était, Benitez et les profits qu'il avait accumulés illégalement alimentaient le ressentiment au sein du gouvernement cubain, ce qui mena finalement à sa démission.

Plus encore que l'argent, c’est la corruption et les conflits de pouvoir internes qui entraient en jeu à Cuba. Comme les États-Unis et le continent américain en général, le pays souffrait de la Grande Dépression. Beaucoup de Cubains n'acceptaient pas le nombre relativement élevé de réfugiés déjà admis à Cuba, dont 2 500 Juifs, qu'ils voyaient comme une concurrence face à de trop rares emplois. Deux journaux en particulier — le Diario de la Marina de l’influente famille Rivero et Avance, que dirigeait la famille Zayas — avaient soutenu Les nouvelles de l'arrivée imminente du Saint-Louis provoquèrent une manifestation à La Havane le 8 mai, cinq jours avant que le paquebot ne quitte Hambourg. Ce rassemblement, qui attira 40 000 participants était organisé par l'ancien président Grau San Martin. Son porte-parole, Primitivo Rodriguez, recommanda aux Cubains « de lutter contre les Juifs jusqu'à ce que le dernier d’entre eux soit chassé ».

Lorsque le Saint-Louis arriva à La Havane le 27 mai, le gouvernement ne permit qu’à 28 passagers de débarquer : 22 Juifs munis de visas pour les États-Unis, et six (4 Espagnols et 2 ressortissants cubains) avec des documents d'entrée en règle. Une personne fut évacuée vers un hôpital après une tentative de suicide, et une autre était décédée de mort naturelle au cours du voyage.

Le 28 mai, Lawrence Berenson, un avocat auprès du Joint Distribution Committee (JDC), une organisation caritative juive américaine, se rendit à Cuba pour représenter les passagers. Le président offrit de les laisser entrer si le JDC versait une caution de 453 500 $ (soit 500 $ par personne). Il rejeta la contre-proposition de Berenson, puis rompit les négociations.

Lorsqu'ils longèrent les côtes de Floride, si près qu'ils pouvaient voir les lumières de Miami, des passagers envoyèrent un câble au président Franklin D. Roosevelt lui demandant de leur accorder l'asile. Ils ne reçurent aucune réponse. Le département d'État et la Maison-Blanche avaient déjà choisi d'éviter toute mesure exceptionnelle pour les laisser entrer aux États-Unis. Selon un télégramme du département d'État envoyé à un passager, ils devaient « attendre leur tour sur la liste et remplir les conditions requises pour obtenir des visas d'immigration avant d’être admissibles aux États-Unis. » Des diplomates américains à La Havane redemandèrent au gouvernement cubain de laisser entrer les passagers pour raison « humanitaire », en vain. Les quotas établis par la loi sur l'immigration de 1924 imposaient des limites strictes quant au nombre d’immigrants pouvant être admis chaque année par les États-Unis. En 1939, le quota pour l’Allemagne et l’Autriche était fixé à 27 370 et fut rapidement atteint. Il y avait même une liste d'attente d'au moins plusieurs années. On n'aurait pu accorder des visas aux passagers du Saint-Louis qu'en les refusant à des milliers de Juifs allemands plus hauts sur la liste. L’opinion publique américaine, bien qu'apparemment compatissante vis-à-vis de la difficile situation des réfugiés et critique envers la politique de Hitler, n’en soutenait pas moins les restrictions à l’immigration. La Grande Dépression avait laissé des millions d'Américains au chômage, qui craignaient toute concurrence face aux rares emplois disponibles. Elle alimentait aussi l'antisémitisme, la xénophobie, l'hostilité envers les immigrants et l'isolationnisme. Un sondage de l’époque effectué par le magazine Fortune indiquait que 83% des Américains étaient opposés à un allégement des restrictions. Roosevelt aurait pu publier un décret autorisant les réfugiés du Saint-Louis à entrer aux États-Unis. Les considérations politiques contre ce choix exceptionnel pour une cause impopulaire étaient multiples : l'hostilité de la population, l'avancée républicaine aux élections du Congrès en 1938, et un possible troisième mandat de président, inédit. Peu de politiciens étaient enclins à défier l'état d’esprit de la nation sur les questions d'immigration.

Trois mois après le départ du Saint-Louis, le Congrès américain, au Sénat comme à la Chambre des représentants, enterra le projet de loi du sénateur Robert Wagner (démocrate de New York) et de la députée Édith Rogers (républicaine du Massachusetts). Il aurait permis d'ajouter 20 000 enfants Juifs d'Allemagne au quota existant. En mai 1939, deux bateaux, plus petits que le Saint-Louis, arrivèrent à Cuba avec des réfugiés juifs à leur bord. Sur le bateau français, la Flandre, se trouvaient 104 passagers ; l'Orduña, vaisseau britannique, en amenait 72. Eux non plus ne purent débarquer. la Flandre retourna à son port de départ en France, et l'Orduña poursuivit sa route vers le sud, jusqu'à trouver un port d'accueil à Panama, dans la zone du canal sous contrôle américain. Au bout du compte, les États-Unis ne permirent à aucun passager d'entrer sur leur territoire.  (United States Holocaust Museum)

N° boîte
B06
N° d'inventaire
D036b
Permalien
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