Le Talmud Tora de Hambourg à l'élève Adolf Margulies: "L’école lui adresse ses meilleurs vœux pour son avenir", 15 février 1939


Certificat d'assiduité au cours du Talmud Tora délivré à Adolf Margulies, daté du 15 février 1939. Tampon du Talmud Tora Schule - Hamburg" et signature du Directeur Spier et du Professeur Bacher Le 15 février 1939, Arthur Spier et I V Dr Bacher, ce dernier sorti depuis quelque semaines du camp de concentration de Sachshauzen, signent ce carnet de note d’Adolf Margulies. Ils indiquent qu’il a fréquenté l’oberschule de la classe 6 (obersekunds) à la classe 8 jusqu’à Pâques 1938. Les notes sont bien meilleures qu’au lycée Adolf Hitler ; le système de notation est plus sophistiqué au Talmud Tora d’Hambourg avec six graduations différentes au lieu de quatre. Sans surprise, il est "très bon" en gymnastique. Il n’a pas de note en natation. Il est "bon" dans toutes les matières juives : Bible, grammaire hébraïque, talmud, histoire juive ; il est très bon en allemand, à l’oral comme à l’écrit ; il est bon en histoire et en biologie ; en mathématiques, physique et chimie, dessin, son niveau est jugé "satisfaisant" ce qui n’est pas éblouissant ; le français est faible. Qu’Adolf n’ait pas fait d’effort dans cette matière semble indiquer qu’il ne songe pas à immigrer en France. Il n’est pas très bon non plus en anglais. On dirait qu’il n’a pas compris l’intérêt de maitriser les langues. Le carnet se conclut par ce commentaire général : "L’école lui adresse ses meilleurs vœux pour son avenir". Adolf Margulies ne peut plus poursuivre sa scolarité dans un établissement public depuis le 15 novembre 1938, tous les lycéens juifs du Reich en ont été exclus par un décret "unterricht ùber die schulbesuch die jùdischer kinder" sans aucun préavis. Ils n'étaient pas nombreux compte tenu du numerus clausus. Selon un représentant du Ministre, "il est insupportable à des écoliers allemands d’être dans la même salle de classe que des enfants juifs (...) il subsiste dans les écoles allemandes un résidu d’enfants juifs dont on ne peut plus autoriser la scolarisation avec des garçons et des filles allemands.. Adolf Margulies s’inscrit au Talmud Tora schule de la ville afin de poursuivre ses études avant même ce décret, sans doute parce que à Hambourg, le quota d'écoliers juifs autorisés est déjà dépassé. L’école, vaste bâtiment de quatre étages attenant à la grande synagogue, de même couleur se fond avec elle. Sa facture classique contraste avec le dôme romantique du temple de prières. Elle est financée par les Warburg. La devise du mur d’entrée gravée en 1911 sur les instructions de l’architecte Ernst Friedheim accueille les élèves de 7 à 18 ans: "Devenez de bons Juifs, de bons Allemands, de bons citoyens de la ville de Hambourg". Une autre plaque, plus récente rappelle que 120 élèves et 5 enseignants sont tombés au champ d’honneur entre 1914 et 1918. En 1938 avec la persécution, les effectifs du Talmud Tora ne cessent de gonfler car, comme Adolf Margulies les petits Juifs affluent dans la ville sans être admis dans les lycées publics. Ils sont 600 en 1933, 800 en 1937, 1200 en 1938. On n’y enseigne pas le talmud mais les matières de l’enseignement général. Depuis quelques mois, les études religieuses ne sont plus obligatoires. Une forte impulsion est donnée à l’apprentissage des langues : hébreu, anglais, français. Le proviseur Arthur Spier, qui signe ce bulletin, est réputé pour sa sévérité. C’est un scientifique, très versé en études rabbiniques, il a été l’élève d’un célèbre grand maître, Ezriel Hildesheimer. Spier est un patriote ; il a été pendant la guerre le plus jeune pilote de la chasse allemande, sous les ordres directs du héros national Von Richthofen. Il en a conservé une blessure bien visible à la tête. A l’école, il poursuit la politique de son prédécesseur Joseph Carlebach, qui a introduit au programme les matières les plus diverses : physique, chimie, dessin, sports... . Tous les enseignants du Talmud Tora ont été chassés dès 1933 de l’école publique à la suite de la publication le 7 avril du "berufbeamtengesetz" contre les "non aryens". Certains d’entre eux avaient perdu toute relation au judaïsme, s’étaient convertis. Ils sont tout de même victimes de la mesure. C’est le cas du professeur principal d’Adolf Margulies, qui signe son carnet, Victor Bacher, pasteur évangéliste, contraint par un décret du 17 août 1938 d’ajouter à son prénom celui d’"Israël". La loi oblige tous les hommes réputés juifs à se prénommer ainsi, et les femmes "Sara". Sur le carnet de Margulies, Bacher s’est contenté de s’adjoindre un i. Le professeur d’allemand Ernst Loewenstein a été expulsé à la même date de l’enseignement public. Plus de 60 ans plus tard, le petit Cohn se souvient encore avec émotion de son enseignement: "Il m’a fait découvrir et aimer ma langue natale, cela ne m’a jamais quitté." Lors du pogrom de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), les enseignants d’Adolf Margulies, dont Bacher, ont été arrêtés et envoyés au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin. Se croyant protégé par ses états militaires, le proviseur se rend au commissariat de police, avenue de Sedan pour exiger leur libération. Ils le jettent du haut de la rampe d’escalier. Les notables sont regroupés au centre de détention de la Gestapo situé à Fuhlsbüttel près de Hambourg où on leur extorque de l’argent. En Décembre 1938, Spier accompagne un convoi d'élèves de son établissement vers l’Angleterre puis reprend son poste. Lola Hahn Warburg a négocié cette mesure d'humanité avec rencontre avec le Secrétaire d’Etat du Foreign office, Sir Samuel Hoare. Les enfants doivent avoir moins de 18 ans et bénéficier d'une garantie financière.

Voir document en lien : https://fhju.fr/idurl/1/1717 

Date de publication
1939-02-15
Siècle
20
Régime ou époque
nazisme
Régime ou époque étudiée si différente
nazisme
Région
Europe de l'Ouest > Allemagne > Hambourg
Lieu d'édition
Hambourg
Pays d'édition
Allemagne
Parcours de vie
Adolf Margulies (Allemagne, 3ème Reich)
Thématique
Education > Education juive - Talmud Thora
Education > Instruction publique
Persécution
Type de document
Certificat - Attestation administrative
Langue principale
allemand
Format
In 4
Nombre de pages
4
Propriété
Collection Nicolas Philippe
Remarques sur le contexte historique

En 1938, la famille Margulies quitte la Saxe et s’établit à Hambourg. Les Juifs quittent en masse les villes petites et moyennes où les nazis contrôlent facilement le boycott de leurs magasins et de leurs commerces, que doivent respecter les membres du parti, les fonctionnaires et tous les bons citoyens. De multiples entraves compliquent leur existence : chez le boucher, l’épicier, le crémier, le pharmacien fleurissent les panneaux "interdit aux juifs". Dans une grande métropole comme Hambourg la discipline totalitaire est plus facilement contournée quoiqu’il faille se méfier : le maire de Berlin a ainsi été révoqué parce que sa femme de ménage a été prise sur le fait d’avoir franchi le seuil d’un magasin juif. Puis Hambourg est un grand port accueillant de nombreux consulats et comme la quasi totalité des Juifs allemands, les Margulies songent à émigrer. Au cours du mois de décembre 1939, à Hambourg, plus de 200 boutiques de détaillants juifs sont fermées en quelques jours. Les juifs sont sommés de vendre avant le 1 janvier. Leurs commerces et entreprises ainsi que toutes leurs terres, titres en portefeuille, bijoux et œuvres d’art. Le 5 décembre, une Ordonnance provisoire retire aux Juifs leur permis de conduire. Le 8 décembre, les chercheurs juifs n’ont plus accès aux bibliothèques. Le 20 décembre, les Juifs sont astreints au travail obligatoire, affectés aux travaux les plus pénibles : entretien des décharges, des égouts et toilettes publiques, envoi dans des carrières de pierres. Le 28 décembre, on leur interdit l’accès aux wagons restaurants et aux wagons lits, aux piscines et aux hôtels fréquentés par les membres du parti. A Hambourg, au début de l’année 1939, la direction de l’hôtel Reichshof invite sa clientèle juive à ne pas utiliser ses salons. Le 30 janvier, au Reichstag, Hitler prononce un long discours destiné à préparer l’opinion publique à de nouvelles annexions. Il menace de mort les Juifs, accusés de mener campagne contre le grand Reich : "Aujourd’hui, je veux être prophète une fois de plus : si la finance juive internationale en Europe et en dehors de l’Europe réussit de nouveau à précipiter les peuples dans une guerre mondiale, le résultat n’en sera pas la bolchévisation de la terre et la victoire du judaïsme, mais bien l’extermination de la race juive en Europe!" Le lendemain un second convoi d’enfants quitte la gare d’Hambourg à destination de la Suède, en passant par le port anglais de Harrogate. Adolf Margulies a fêté son 18ème anniversaire le 12 juillet 1938, il ne sera pas de ce convoi. J’ai recherché ce qu’il avait pu devenir, j’ai trouvé une annonce administrative publiée le 18 avril 1941 au Journal Officiel "Deutscher Reichsanzeiger" par le bureau des expropriations et des expatriations. Les biens de Menasche Margulies et de son épouse Leye Markel ont été confisqués et remis en gérance à un Monsieur de Berlin, le consul Rothe, Hermann (Bayer et Heinze). Ils vivent à Tel Aviv (Palestine).

N° boîte
B20
N° d'inventaire
D038b
Permalien
https://fhju.fr/idurl/1/1734


Documents similaires