Louis XVI accorde au Juif Jacob de Perpignan et à sa famille, les droits de Régnicoles et naturels François


En 1776, Jacob de Perpignan, Juif, négociant de Bordeaux, fait imprimer à Paris chez Simon, Imprimeur du Parlement cette lettre royale lui accordant à lui, à sa femme, ses enfants et postérité les droits de Régnicoles et naturels François. Cette lettre de naturalité de sept pages, comprend la mention de son enregistrement par le Parlement de Bordeaux le 2 mai 1776.

Les lettres de naturalité sont rares. Depuis François Ier, qui les a inventées pour remplir les caisses du Royaume, le roi en accorde en moyenne 45 chaque année. Une dizaine de Juifs l’obtiennent comme Jacob de Perpignan à titre individuel au cours de la seconde moitié du XVIIIème siècle.

« Notre bien aimé Jacob de Perpignan » réside « depuis plus de cinquante ans et demeure dans la dite ville » de Bordeaux. Pourtant, il ne bénéficie pas des privilèges reconnus à « la Nation juive dans la ville de Bordeaux ». Ne sont membres de cette Nation que les « Juifs des dites généralités (de Bordeaux et Auch) connus et établis en notre Royaume sous le titre de Portugais, autrement nouveaux chrétiens ». Or Jacob de Perpignan est natif d’Avignon. Il ne peut donc bénéficier des droits acquis par les Juifs portugais qui, selon l’Ordonnance royale du 15 Juillet 1728 sont considérés comme régnicoles. Jacob de Perpignan obtient à titre individuel ce que ses coreligionnaires habitant la même ville ont déjà obtenu à titre collectif.

Le privilège des Portugais est vieux de plus de deux siècles. Dès 1550, Henri II a consenti la naturalité à ces Juifs alors dénommés « nouveaux chrétiens » qui avaient fui l’Inquisition. Le jeune roi Louis XV les a réitérés et consenti en les reconnaissant comme Juifs moyennant paiement d’une « une somme de cent mille livres et les deux sols pour livre en faveur de notre joyeux avènement ».

Pour Jacob de Perpignan, quels sont les enjeux ? Quel intérêt y a-t-il à obtenir cette lettre de naturalité ? Sa région d’origine, le Comtat Venaissin est une terre du Pape ; le Souverain Pontife y exerce le pouvoir temporel. Même s’il vit depuis plus de 50 ans sur une terre française, Jacob de Perpignan est demeuré, avant d’obtenir cette lettre patente un aubain, c’est à dire selon le traité de Jean Bacquet, paru à la fin du XVème siècle, « un homme qui n’est (pas) né dans le royaume, pays, terres et seigneuries de l’obéissance du roi de France ». Un aubain peut à tout moment être expulsé du territoire. Le risque n’est nullement théorique. Les Juifs avignonnais de Bordeaux en ont fait la difficile expérience que rapporte la requête de Jacob de Perpignan. Le 22 Janvier 1734, le Conseil du Roi a ordonné l’expulsion des marchands avignonois et tudesques, c’est à dire allemands, alsaciens , polonais. Le 7 Septembre 1761, le maréchal de Richelieu, gouverneur de Guyenne ordonne l’expulsion de « tous les Juifs non patentés »

A chaque fois Jacob de Perpignan a échappé à la mesure. Il affirme dans sa requête au roi qu’il doit cette faveur à ses qualités : « il a joui toujours de l’estime publique par la pureté de ses mœurs, la régularité de sa conduite et son attention scrupuleuse et constante à faire son commerce avec honneur et probité ». Dans la requête qu’il présente aux fins d’obtenir la lettre de naturalité, il se prévaut de ces deux précédents : « l’exposant néanmoins mérita des bontés du Feu Roi, notre très honoré Seigneur et aieul la grâce d’être excepté de la dite expulsion par des ordres particuliers adressés au dit gouverneur et la permission de continuer de demeurer à Bordeaux sa vie durant ». L’ordre d’expulsion de 1761 a épargné les hommes de plus de 60 ans et c’est donc aussi eu égard à son grand âge que Jacob a été autorisé à demeurer dans la cité L’aubain est affligé d’un autre grand tourment : celui de ne pouvoir laisser d’héritage à ses enfants. « Le plus notable privilège que le citoyen a par dessus l’étranger est qu’il a pouvoir de faire testament et disposer de ses biens selon les coutumes » écrit Jean Bodin. « L’étranger n’a ni l’un ni l’autre et ses biens sont acquis au seigneur du lieu où il est mort ». Jacob de Perpignan qui a maintenant 75 ans s’en inquiète : « Ayant reçu du Ciel la douce satisfaction d’avoir des enfants dignes de tous les soins qu’il en a pris pour en faire des sujets vertueux, appliqués au travail et fidèles à tous leurs devoirs, il ne désire plus rien dans sa vieillesse que la consolation de pouvoir leur laisser dans la France, leur Patrie, le bonheur d’un asyle assuré, que leur naissance leur donne, mais que les Lois Générales du Royaume leur interdisent et dont ils sont menacés de ses voir privés par sa mort ».

La lettre de naturalité lui permettra-t-elle de transmettre son patrimoine à ses enfants ? En 1765, Lefèvre de la Planche ancien avocat du roi à la chambre du Domaine, a soutenu la thèse inverse. Pour lui, les Juifs sont la propriété du roi et comme tels exclus des actes du droit des gens. Même ceux bénéficiant de lettres de naturalité, devraient être considérés comme des aubains à la date de leur décès. Les Tribunaux ne l’ont pas suivi et ont jugé au contraire qu’un Juif naturalisé pouvait tester.

Pour convaincre le roi, Jacob de Perpignan s’attache à démontrer que lui et ses enfants ont toujours tâché de mériter le bonheur auquel ils aspirent par leur empressement à contribuer aux charges publiques. En particulier, fait-il valoir, il a fondé à perpétuité deux places d’élèves dans l’Ecole Royale gratuite de dessin, fondée à Paris en 1766 par le peintre Jean-Jacques Bachelier. Cette école, devenue ultérieurement Ecole nationale supérieure des arts décoratifs enseigne un métier manuel à 1 500 enfants de milieux défavorisés. L’idée est très pionnière, contemporaine de l’Emile (1762) et des planches de l’Encyclopédie. Elle est activement soutenue par le Lieutenant Général de Police, Mr de Sartine, qui est un personnage important pour les Juifs puisque ce sont ses services qui les contrôlent dans la capitale. L’Etat n’apporte aucun financement. Dans la liste des grands mécènes fondateurs, figurent 11 Juifs avignonnais de Bordeaux dont Jacob de Perpignan et son fils. Il verse des témoignages de négociants de Bordeaux, Lyon et Tours.

Jacob s’engage aussi à payer 3 000 Livres pour l’Hôpital des Enfants trouvés de Bordeaux. Il supplie qu’on lui accorde « pour lui, sa femme, ses enfants et postérité, à perpétuité le droit de naturalité avec les mêmes facultés, franchises, libertés, privilèges dont jouissent les autres sujets naturels ou naturalisés et notamment les Juifs ou marchands portugais ». Moyennant le paiement prévu à l’hôpital, le roi reconnaît à la famille le droit « d’établissement à Bordeaux et d’acquérir par contrat, legs, donation, succession et autrement, tous biens meubles et immeubles dans notre Royaume, Pays, Terres et Seigneuries de notre obéissance, d’en jouir et disposer librement ». La Cour de Bordeaux ordonne l’enregistrement le 4 mai 1776.

Le 22 février 1781, à 6 heures du soir, Salomon Perpignan, fils de Jacob reçoit dans son appartement de la rue de Seine à Paris la visite du chirurgien Segret qui le saigne depuis plusieurs jours. Mais Salomon qui souffre depuis quelques temps d’un « dérangement de la tête » selon le rapport de police se jette par la fenêtre. Il succombe à ses blessures. Sitôt prévenu, Guichard, avocat des Domaines appose les scellés sur tous les effets du défunt. La famille lui présente « un exemplaire imprimé des Lettres Patentes de mars 1776 accordant à Jacob de Perpignan de Bordeaux, sa femme et ses enfants les droits de régnicole et naturels français ».

Autrement dit ce document-ci.

L’avocat Guichard se rend à l’évidence : Salomon Perpignan était français grâce la lettre patente de son père. Il consent à la main levée des scellés.

Auteur
Louis XVI
Date de publication
1776-01-01
Siècle
18
Régime ou époque
Ancien Régime
Région
Europe de l'Ouest > France
Lieu d'édition
Paris
Pays d'édition
France
Thématique
Privilèges individuels
Immigration > Naturalisation
Type de document
Imprimé - Imprimés reliés
Langue principale
français
Format
In 8
Nombre de pages
7
Editeur - imprimeur
P. G. Simon, Imprimeur du Parlement
Propriété
Collection Nicolas Philippe
Bibliographie
Szajkowski Zosa « the jewish status in 18th century France and the « Droit d’aubaine » in Jews and the French Revolutions p 220 sqq Ktvav, New York, 1970 Gestenkorn Jacques « Les Juifs avignonnais de Paris et l’Ecole royale gratuite de dessin ( 1768-1795) , Archives Juives , 2017/2 p 95 à 111 Nahon Paul « Juifs et judaisme à Bordeaux « , 391 p Mollat 2003 Hildenfinger Paul « Documents sur les Juifs à Paris au XVIII°Siècle »290 pages, Champion 1913 Sahlins Peter « la nationalité avant la lettre. Les pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime » p 1082 à 1108, Revue des Annales n°5, septembre/octobre 2000
N° boîte
B05
N° d'inventaire
D022
Permalien
https://fhju.fr/idurl/1/191


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