Mémoire instructif pour Jean-Louis Richaud, Maréchal à forge de cette Ville d'Aix, Demandeur en Requête du 26 novembre 1769, contre Samuel Cremy, Juif de Nation, de la ville de Cavaillon, Défenseur


Jean Louis Richaud a vendu le 17 août 1768 à Samuel Cremy, Juif de Cavaillon "une pacotille de soie, qui était le fruit d’une longue économie" au prix de 2192 livres. Mais la lettre de change, remise en paiement de cet achat est revenue en protêt pour défaut d’acceptation. Samuel Cremy est "dérangé dans ses affaires". Il a perdu de l’argent dans le commerce des soies et des mulets. Il doit à différents créanciers, Juifs et chrétiens, ne peut payer, il est donc "obligé de remettre son Bilan" auprès d’un notaire de Cavaillon le 1er novembre 1768. Cremy détaille ses dettes entre les créanciers hypothécaires (213 377 livres), ceux qui le sont par billets et par lettres de change, (14 944 livres) enfin différents marchands (13 685 livres). Isaac Salon Cremy, fils de Samuel, est son principal créancier hypothécaire car son père lui a fait donation de sa maison en contrat de mariage "portes fermées". Mais "pour l’honneur de Samuel Cremy", Isaac s’est engagé à être solidaire de son père pour le paiement des créanciers. Aux termes d’un concordat conclu le 22 décembre 1768, homologué par un arrêt du 20 novembre 1769 il est convenu que "ledit Isaac Salon Cremy fils sera tenu de confondre ses biens et droits propres dans ceux de son père". Les créanciers ont consenti aux efforts suivants : - les hypothécaires et privilégiés font remise des arréages : ils ne sont donc remboursés que de la créance nominale - les autres hypothécaires par contrat ou par sentence sont payés du principal sur 4 ans par parts égales - les chirographaires reçoivent la moitié de leurs créances Mais Richaud n’accepte pas de ne recevoir que la moitié de ce qui lui est dû et il demande la révocation du concordat : tel est l’objet du procès. Pour convaincre les Juges de la justesse de sa cause, Richaud se présente comme "un citoyen pauvre implore dans ce procès la justice ordinaire de la Cour contre un Juif de Nation qui auroit détruit sa petite fortune de fond en comble". Il se scandalise des dots que Samuel Cremy a consenti à ses filles Précieuse, Reginette et Ester. Cremy en a fourni le montant (1 590 livres, 2 320 livres, 1 800 livres) ainsi que les joyaux offerts (1 000 livres à chacune) "pour instruire ses créanciers de sa situation et qu’ils ne pussent en aucune façon le soupçonner de divertissement". "C’est apparemment pour consoler ceux qu’il a si cruellement trompés de la perte de leurs créances que ce Juif de mauvaise foi leur fait savoir que leur argent à servi à marier son fils et ses trois filles, à les orner de bijoux et de joyaux et à entretenir sa maison comme s’ils étaient obligés de fournir à cet entretien". Et emporté par sa colère, l’avocat fulmine contre les Juifs : "une Nation qui depuis sa réprobation et sa dispersion a fait un principe de religion à chaque Juif de se prosterner trois fois par jour devant le rouleau de ses écritures pour y blasphémer et maudire les Chrétiens et y conjurer le Ciel de les exterminer et de hâter leur ruine." L’avocat de Cremy répond à l’argument, en relevant qu’il est inopérant : "On fait enfin une incursion sur les Juifs, sur leur nation, comme si tout cela pouvoit avoir quelque rapport au Procès." Il s’en moque avec une ironie cinglante, tout en priant le Juge de ne pas y succomber : "Si les injures tenoient lieu de raison, il seroit difficile de voir une défense plus complète que celle du sieur Richaud ; mais si la Cour ne se décide que sur les principes , l’on ose dire que l’on n’en vit jamais de plus faible." (p. 1) "Le commerce des Juifs a ses revers, ainsi que celui des Chrétiens et il faut être en vérité de bien mauvaise humeur pour trouver dans ce Procès une occasion de faire une incursion sur tous les Juifs." (p. 7) L’antijudaisme est donc bien présent dans le prétoire mais il ne suscite pas d’émotion particulière. Il est plutôt interprété comme le signal d’une faiblesse de l’argumentaire de l’insulteur : "pour suppléer à la défense qui lui manque, il s’exhale en injures. L’on sait depuis longtemps qu’elles sont le signal de la "mauvaise cause" (p. 19) L’antijudaisme ne fait pas impression. "La Cour comprend, par avance, que nous avons quelque chose de plus sérieux à discuter". (p. 7)

Date de publication
1770-01-01
Siècle
18
Régime ou époque
Ancien Régime
Région
Europe de l'Ouest > France
Lieu d'édition
Aix
Pays d'édition
France
Thématique
Acte judiciaire > Acte judiciaire commercial
Antijudaïsme
Type de document
Imprimé - Imprimés reliés
Langue principale
français
Format
In 8
Nombre de pages
16
Editeur - imprimeur
Imprimerie André Adibert, Imprimeur du Roi
Propriété
Collection Nicolas Philippe
N° boîte
B05
N° d'inventaire
D015a
Permalien
https://fhju.fr/idurl/1/2177


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