Adolphe Weiss n'obtient pas la carte de Combattant (1934)


Document de l'Office National des Mutilés, Combattants et Victimes de la Guerre examinant la demande d'Adolphe Weis et rendant un avis défavorable à sa demande. Indication manuscrite "Avis défavorable conforme. Pas de P.F. Pas de fait particulier. Titres insuffisants". Tampon rouge : "Avis défavorable - 11 octobre 1934 - Décision ministérielle 232955", ainsi que tampon : "Section administrative, le 7 septembre 1934, n°29063".

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Date de publication
1934-07-13
Siècle
20
Régime ou époque
Entre deux guerres
Région
Europe de l'Ouest > France
Europe de l'Est > Roumanie
Lieu d'édition
Paris
Pays d'édition
France
Parcours de vie
Adolphe Weiss
Thématique
Intégration à la vie nationale > Médailles et décorations
Type de document
Document administratif
Langue principale
français
Format
In 4
Nombre de pages
1
Propriété
Collection Nicolas Philippe
Remarques sur le contexte historique

Adolphe WEISS, fils de Joseph WEISS et de Hanna GRIMBERGH est né à JASSY, IASSI en roumain, le 3 février 1875. Dans les quartiers de TARGUL CUCULUI et de PODULROS de l’ ancienne capitale moldave s’entassent près de 40 000 Juifs miséreux, originaires du lieu depuis des temps immémoriaux, ou bien chassés des bourgs ruraux, ou de la Pologne voisine. Les enfants juifs de la génération d’Adolphe WEISS accèdent difficilement à l’instruction depuis qu’un congrès d’instituteurs roumains a, en 1883, décidé de les chasser des bancs d’école. L’enseignement confessionnel est entravé par diverses interdictions mesquines en 1899 et 1900, interdiction de faire cours le dimanche, interdiction de ne pas faire cours le samedi, interdiction de se couvrir la tête pendant la lecture de l’Hébreu… Les persécutions, les humiliations, les vexations s’abattent quotidiennement sur cette communauté réprouvée, détestée, bouc émissaire facile de politiciens verbeux et incapables, nationalistes démagogues exaltant la roumanité, de fonctionnaires véreux, de popes ignares et fanatiques, de policiers corrompus et brutaux.. Face à l’arbitraire, les Juifs de Jassy ne disposent d’aucun recours local. La presse se déchaîne contre eux à la moindre occasion et lorsqu’un journaliste isolé George HAULEK dénonce en 1868 dans sa feuille un officier de la garde nationale qui a dépouillé et maltraité un Juif, il est convoqué à son tour au commissariat et passé à tabac par le chef de la police locale, MADU, histoire de lui inculquer les limites vite atteintes de la liberté de la presse à Jassy. Mieux vaut aussi pour les Juifs éviter de gravir les marches du tribunal local. Un Juif ne peut acquérir un immeuble aux enchères, le pharmacien ZFASS, le banquier WAISSENGRUN en font l’expérience. Lorsqu’un Juif veut être entendu, apporter un témoignage, le juge de Jassy lui impose la procédure infamante du More Judaïco. On connaît dans le détail le déroulement du supplice infligé par ce magistrat sadique à l’un de ces malheureux infortunés, le commerçant Joseph GOLDENTHAL : jeûner 24 heures ; se couper les ongles ras jusqu’au sang ; s’immerger dans un bain rituel ; se présenter à la synagogue, un jour de sortie de la Thora, enveloppé de son linceul, pieds nus, deux bougies à la main ; appeler sur lui-même et sur sa famille, par de multiples formules incantatoires, la malédiction divine en cas de parjure ; lire les rouleaux de la Thora devant le pope de Jassy qui les brandit dans l’enceinte même du Temple… Les visites domiciliaires sont fréquentes, les expulsions aussi et sans préavis, au gré des velléités d’une administration brouillonne et imprévisible. A tout moment, ils peuvent ramasser chez eux des Juifs, même des vieillards ou des enfants en bas âge, et au nom d’une loi vague sur le vagabondage, les transporter à pied jusqu’à GALATZ, les jeter dans de frêles esquifs qui parfois coulent dans le Danube avant d’atteindre le poste frontière autrichien. Dans leur malheur, les Juifs de Jassy ne peuvent compter que sur l’indignation de la communauté internationale, alertée par l’Alliance Israélite Universelle. Dans la famille WEISS, on vénère,, le nom du Pays des Droits de l’Homme. La France, lointaine, impériale de Napoléon III, est pour eux le seul recours contre l’arbitraire et l’injustice. La voix de l’Empereur, portée par le Ministre des Affaires Etrangères auprès de ses consuls, s’exprime sans faiblesse et crainte d’accusation d’ingérence : « les persécutions entreprises à Iassi contre les Juifs causent ici une juste et grande indignation. Agissez promptement et énergiquement pour mettre un terme à une iniquité qui déshonore le gouvernement roumain ». En 1878, à la suite de la guerre russo-turque, les grandes puissances du Continent redessinent à Berlin la carte de l’Europe orientale. L’alliance israélite universelle en Franceet BLEICHRODER, banquier de Bismarck, interviennent auprès de leurs gouvernements pour les Juifs de Roumanie. La France républicaine, fidèle à ses principes et aux engagements passés prend l’initiative d’évoquer le sujet à la table de conférence. Elle est entendue, l’article 44 du Traité stipule que tous les citoyens roumains sont égaux et que la liberté religieuse est garantie à tous, y compris aux étrangers. « Allelouia ! Nous sommes libres, Dieu soit loué ! Gloire à vous, nobles et illustres champions de notre cause, Gloire à l’Alliance » ! Mais, rapidement, les WEISS, comme les autres Juifs de Jassy doivent déchanter. Le gouvernement roumain qui n’est pas signataire d’un traité à la négociation duquel il n’a pas été invité ne s’estime pas lié par cette stipulation. Arguant avec une mauvaise foi achevée que les Juifs établis sur son territoire ne sont que des étrangers apatrides, il leur dénie l’application de cette disposition protectrice, rejette les demandes de naturalisation, légifère pour interdire ou limiter l’accès des étrangers et donc des Juifs à un nombre croissant de professions : aubergiste, débitant de tabac, avocat et défenseur devant les justices de paix, agent de change, courtier, commissionnaire, même vendeur de billets de loterie, colporteur, … Réduits à la misère, les Juifs sont bientôt menacés dans leur intégrité physique. A Jassy, le dimanche 22 mai 1899, le Comité des Etudiants tient au Cirque SIDOLI une réunion antisémite. Les discours chauffent la salle, à la sortie, vers quatre heures, les vitres des magasins israélites volent en éclats, la foule grimpe dans les étages des maisons privées, des coups sont échangés, il y a deux morts au moins. Comme des dizaines de milliers de familles juives, les WEISS s’enfuient, quittent la Roumanie, partent loin de Jassy. A l’étonnement de l’Europe entière, ils partent à pied, un balluchon sur le dos, vers l’Ouest à la recherche d’une vie convenable , digne et paisible. La France les accueille. Elle est généreuse, sa natalité est faible, elle a besoin de bras pour son industrie, de soldats pour l’armée de la Revanche, aucune loi ne limite l’immigration qui est libre. Désormais citoyen à part entière d’un pays libre, il en assume les devoirs et les contraintes. En 1905, à 30 ans, il accomplit son service militaire comme simple soldat. En août 1914, la guerre éclate. Adolphe WEISS est incorporé sous les drapeaux le 3 août, dans son bureau de recrutement du 9e arrondissement à Paris,.D’abord affecté à la 22e section de COA, classé au « service auxiliaire », le 22 novembre 1914, il est transféré à Dijon en janvier 1915 à la 8e section COA, versé au service armé par la 5e Commission de réforme de la Seine le 11 juin 1915. Il échappe à l’enfer des tranchées. Il est muté à Marseille le 5 juillet 1917 dans la 5e section COA, incorporé dans l’armée d’Orient, expédié à Salonique où il débarque le 28 juillet 1917. On croit, en France, que le corps expéditionnaire y passe du bon temps. Les hôpitaux sont bondés de 300 000 soldats grelottant de la fièvre du paludisme. Adolphe WEISS a croisé des milliers de permissionnaires qui attendent pendant des semaines sur le quai leur rapatriement en métropole, suant à grosses goûtes dans leurs uniformes en gros paletot. Ils ont faim et surtout soif car l’Etat Major n’a pas prévu de quantité suffisante d’eau potable, ils ne connaissent pas les buts de la guerre contre les Bulgares qui ne font pas de quartiers, ils n’ont aucune nouvelle de leurs familles depuis des mois car le courrier ne fonctionne pas, des mutineries éclatent. Dans cette fournaise, Adolphe WEISS est affecté à une section chargée de l’approvisionnement. Pour lutter contre le scorbut, les soldats ironiquement baptisés « jardiniers de Salonique » cultivent la tomate. Adolphe WEISS se retrouve en Albanie, à KONITZA. Le 11 novembre 1918, les armes se taisent. Adolphe WEISS est maintenu sous les drapeaux.. Les Soviets ont pris le pouvoir en Russie, la guerre civile contre les Blancs fait rage, l’Etat Major français songe à utiliser l’ armée d’Orient épuisée comme cordon sanitaire contre les Rouges. Puis, l’idée est abandonnée, les plans changent, Adolphe WEISS est renvoyé chez lui, « en congé illimité » le l0 février 1919. Il vient tout juste de fêter son 44e anniversaire, il est français depuis dix-neuf ans, il a passé sept ans et demi sous les drapeaux tricolores. Adolphe WEISS n’est pas un héros, sa poitrine n’est pas bardée de médailles et de décorations, il n’a pas été cité à l’ordre de son régiment, il n’est ni blessé, ni malade, ni invalide, il n’est pas monté en grade. Il est toujours le deuxième classe Adolphe WEISS, mais il n’est pas un planqué, il a accompli la guerre la plus longue de toute l’armée française. Rendu à l’état civil, il s’embourgeoise. Ses parents, Joseph et Hanna, habitent toujours ll6, rue Vieille du Temple, en plein centre du Pletzl, le quartier juif traditionnel de Paris, lui, il s’installe dans le 9e arrondissement, un quartier plus chic, 21, rue des Martyrs. Adolph WEISS est fourreur, un métier traditionnel chez les Juifs de Jassy, il choisit un bon emplacement, à Paris, 50 rue de Rome, près de la gare Saint-Lazare. En 1925, le Parlement français institue la carte du combattant. Dès lors, Adolphe WEISS multiplie pendant des années les demandes pour obtenir cette marque de reconnaissance nationale. Le l3 janvier 1930, il écrit au Ministre sur son papier à lettre blanc et bleu royal : « Fourrures et Pelleteries Adolphe WEISS, 50, rue de Rome, Paris. Spécialistes de modèles. Gros et détail ». Sa lettre, tapée à la machine, est courte, rédigée en style très administratif, militaire : « J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance l’obtention d’une carte de combattant ». Il fournit son état civil, quelqu’un a souligné au crayon qu’il était « naturalisé Français en 1900 » ; ses états de service : « Mobilisé le 5 août 1919 à la 22e section COA ; incorporé en 1915 à Dijon, 8e section COA ; le 5 juillet 1917 à Marseille, l5e section COA ; parti le mois suivant à Salonique et de là à KONITZA (Albanie) où je suis resté jusqu’en janvier 1919 – moment de ma démobilisation ». Le 5 septembre 1930, le Commandant de Recrutement de la Seine lui renvoie son dossier. Pour obtenir la carte de combattant, il faut avoir appartenu pendant trois mois au moins à une unité combattante ou en avoir été évacué pour blessure de guerre ou maladie contractée en service au front. Or, « les sections de COA ne figurent pas au tableau des unités réputées combattantes annexé au décret du ler juillet 1930 ». Apparemment, Adolphe WEISS ne comprend pas, ne veut pas comprendre cette réponse. Il réitère sa demande le l9 décembre 1931 sur un formulaire de la Fédération Nationale des Anciens Combattants. Ce qui est curieux, c’est que sa demande est exactement identique, avec les mêmes informations, les mêmes lieux, Dijon, Marseille, Salonique, Konitza, les mêmes dates, les mêmes sections COA, ces sections qui justement sont réputées non combattantes selon le tableau annexé au décret… Adolphe WEISS ne songe pas à donner d’autres explications qui pourraient expliquer, justifier sa demande, faire changer l’opinion du Ministre. J’ai encore au dossier une autre demande de lui du l5 avril 1933, puis encore une autre, visée par le Maire du 8e arrondissement le 30 mars 1934, il paraît infatigable. Il a changé son papier à lettre, maintenant il étale ses spécialités : « Fourrures tous genres. Spécialités de loutre, zibeline et astrakan. Pelisses pour hommes. Transformations et réparations en tous genres. Adolphe WEISS, 50, rue de Rome ». Des dessins illustrent son activité : une loutre se promène dans un paysage neigeux ; un lion dressé sur ses pattes fixe son regard dans le lointain, des arbres marquent le paysage ; un sapin pour la loutre, un palmier pour le lion. Au Ministre, ses explications sont toujours identiques, on ne sait toujours pas ce qu’il a fait à Dijon, à Salonique, à Konitza. Le l3 juillet 1934, la commission permanente du comité départemental de la Seine se réunit pour statuer sur sa requête. L’avis est défavorable : « Le demandeur n’a jamais appartenu à une formation combattante et n’a pas établi qu’il avait fait personnellement acte de combattant ». Le dossier monte au cabinet du Ministre. Le Ministre rend sa décision le 11 octobre 1934, elle porte le numéro 232955 : « Avis défavorable conforme. Pas de P.E. Pas de fait particulier. Titres insuffisants ». Un fonctionnaire a tamponné avec une encre rouge le dossier d’Adolphe WEISS : « AVIS DEFAVORABLE ». Adolphe WEISS ne mérite pas d’être décoré.

N° boîte
B08
N° d'inventaire
D043h
Permalien
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